mercredi 10 octobre 2018

Cela presse (entre Louise Labbé et Willem Müller).

Je meurs, je tisse, je ris, je me noie et je savoure et j’enlace et je répand et recommence et sers et perd et rien ni fait et tout agace et tout replie et tout renferme et se cantonne il faut saisir et commencer et suspendre la vérité au bout des doigts, au bout des branches, dans le clair, dans la vie, sur les pentes, sur les toits, sur tout, sur rien, sur ce qui bouge et se déploie, et fréquenter, et resserrer, et tourner une fois encore sur la peau, sur le cœur, sur l’étendue bien longue, bien étirée, bien posée sur le front, le dos, le mur, la liberté.

La vérité est en marche, il faut la fendre comme les noix, les amandes et tirer, tirer, sur la peau, sur les poils, sur le reste, ce qui se voit et ne se voit et se donne, la nuit dans les bois, sur la route avec les anges. Il est perdu, il est en haut, il est en bas et marche sur les fils des anges, sur les toiles des araignées cerclées de noir et jaune, et diadème, et fil qui colle à la peau et résiste au poids des hommes, il est en haut, il est en bas, il tire fort, la jambe est lourde, les pieds sont creux, les pieds sont lourds, ils se fatiguent et raclent le sol, la terre, les cailloux, la poussière vole, vole.

Je ris sur les sentiers et on chante sur la montagne, les chemins sont ouverts au pas des hommes et des chevaux, au pied dur des chiens qui passent et raclent les herbes sèches de leur poil noir, de leur poil noir. Je sème, je perd, je trouve et recommence et enfonce dans les yeux des autres, la carte du chemin à prendre, ils sont grandis, ils sont contents, ils tournent en rond sur la montagne, ils voient au loin l’air de la mer, la trace bleue des premiers âges, le sol est sec, la mer est verte et je m’envole avec les anges, avec les pieds noirs de cailloux et pressés dans la poussière, les marcheurs sont effrayés les oiseaux volent et vont au large.

J’entends toujours les mêmes chants, les mêmes yeux, les mêmes rires, les démons, les enfants, les lapins courent vers la pente, les enfants sont passés et voient les animaux sur l’herbe sèche, sur les cailloux, sur les ronces noires, sur les rayons de ciel et d’aube. Je vois, j’entends, je tire un trait dans la poussière, je tire sur tout le chemin un sac de lumière et d’envie et de chaleurs à fendre le cœur et la raison, il perd de vue et il oublie, il ne sait plus pourquoi il marche, il a oublié et son nom et ses jours et ses habitudes, il ne sait plus qu’il disait « je », et affirmait tout et le contraire.

La lumière et l’obscurité, je ferme un œil, j’ouvre l’autre, j’avance et je vois tout et plus encore et je ne vois plus rien, plus rien, la lumière est étrangement en avance, et retarde et continue et défait tout, son ombre fuit, il est ailleurs, il se retourne et voit les anges, leurs ombres noires sur le chemin, je suis perdu, je suis dedans, je suis ailleurs et sans escorte, seul un bâton de commandement pour ouvrir la route entre les griffes, les buissons et les araignées et le soleil qui mord la tête et défigure et rend sans vie et sans raison et sans aucune certitude, il faut avancer, il faut passer, il faut reprendre le sentier.

Je suis ici, je suis là-bas, je suis encore plus loin, parti, venu et présent sur le chemin, la poussière vole, les yeux arrachent la vérité, au ciel, aux oiseaux, aux heures, la suite vient il faut rentrer, il faut rentrer mais attention, il ne pleut pas, il ne pleut pas. Je suis parti, je suis venu, je suis en équilibre et j’oublie et je perds et je raconte à mon aise des airs de tout, des airs de rien et je meurs, je vis, je tisse, je me noie.

13 Août 2007.

1 commentaire:

  1. "Il me paraît égal aux dieux celui qui, assis près de toi, doucement, écoute tes ravissantes paroles et te voit lui sourire ; voilà ce qui me bouleverse jusqu'au fond de l'âme. "*

    La vérité se déshabille, elle sort de sa coquille et brûle les doigts qui tirent sur le fil de l’ange. La vérité se noie dans la flaque, en cette nuit sans lune suspendue au fil de l’étrange.

    Les oiseaux volent avec les anges et une musique arrive du large, "une trace bleue des premiers âges."**

    Sur les pentes de l'oubli il roule, roule, roule… il ne sait plus qui il fut, qui il est, qui il sera, il oublie… il ne sait plus qu'il est JE. Il dit "je est un autre."***

    Il ferme les yeux sur le monde, mais ils sont grands ouverts en dedans de lui. Il se reconnaît sur le chemin parmi les anges, les ronces, les épines et l’araignée qui tisse sa toile. Le soleil lui ronge l’âme jusqu’à la moelle et il doute, et se perd… il se perd… il ne cesse de se perdre.



    *Sappho
    ** M. Chalandon
    *** A. Rimbaud



    "Tränenregen"

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