dimanche 31 mars 2019

Ariane, le jour où on ne travaille pas.

Le jour où on ne travaille pas, on active, on active, la rigueur et le palais, les outils et les sucreries, on active, on active, la raison et l’optimisme, rien ne vaut, rien ne vaut, le calme, le calme et le repos, il faut entendre encore cette chanson si lente, lente et recueillie sur les cailloux et sur les pieds tordus.

Ils sont griffés, ils marchent dans les roseaux, ils courent sur la boue sèche : les oiseaux blancs, blancs, volent et tournent rond, rond, on entend les serpents, ils courent dans l’herbe, dans l’herbe, ils sont remis, ils sont émus, ils sont écartés du chemin, ils fuient et l’ombre et les pieds des marcheurs.

Ils marchent de la pointe jusqu’au talon, jusqu’au genou, enfoncés dans la boue, ils tirent du cou des sons et des rêves, mensonges longs, étalés, posés au bord du monde, les hommes passent et regardent les souvenirs, et les idées, ils volent au lointain et voient les oiseaux blancs voler sans rien sur terre :

libres, écartelés de soleil et de vent, ils sont à l’embouchure du geste et des paroles, ils sont fragiles et clairs, ils sont sur le ciel posés en nuages, en arc-en-ciel, en triomphe, en songes, menteurs blancs perdus dans le ciel bleu, sur le bord tendre de la vie, du rêve, des chaumes éventés, on ne travaille pas.

On récolte le sommeil et la lenteur lente, le calme, calme, la vie posée au bord du monde, rien ne bouge, on active, on active le rien sous le caillou, le pied dans l’air, sur le sable jaune, dans la poussière, dans la beauté calme et lente du jour sans rien, sans perte, en repos, en repos, la liberté est au chemin.

On active, on active le bien posé sur la dentelle, le rire nu sur l’oreiller, le mal confondu à la joie, la violence au sucre roux, la déchirure au temps pensé, on cherche, on trouve une issue, une clef, on finit sur le toit des choses, en embuscade sur les rochers, sans îles, sans idées, avec une sensation pure,

un sentiment, une éternité, une figure sans aucun style, un rien posé sur le rocher, il n’y a rien, mais Ariane, Ariane lamente, laissez-moi, laissez-moi, laissez-moi, nous laissons, nous vous laissons, nous ne sommes rien, bien sûr nous vous laissons, aujourd’hui on active, on active le rien posé sur le balcon.

Une île de roches, la mer immense autour et Ariane nous lamente, nous lamente et laissez-moi, laissez-moi, nous vous laissons, nous vous laissons, nous ne sommes rien, ni personne, nous venons sur le toit du monde poser un fardeau, laisser au rocher le poids de la mort, elle est passée,

elle est partie, laissez-moi, laissez-moi, nous vous laissons, impitoyables, frémissants, nous sommes dans le rien à dire, le rien à en penser, l’éternité est une œuvre, le calme seul pose des questions et envoie le soleil vers la nuit finie, la clarté règne, le vent est lent, le rocher brille, laissez-moi, laissez.

Nous finissons au toit du monde, laissons-la, laissons-la, Ariane abandonnée, perdue au rocher, une lamentation si longue, une si longue plainte, d’un seul souffle, d’une même éternité, Ariane, elle gémit, elle s’appelle, laissez-moi, laissez-moi, taisons, taisons, le seul qui est absent, seul il abandonne.

Elle plonge au rocher son regard dans les oiseaux blancs, ils passent et vont au loin, ils éraflent d’une pointe, aile tendue, le sort triomphe pour lui seul, lui seul, le seul parti, elle gémit, laissez-moi, laissez-moi, elle est déjà si seule, entourée, le seul est manquant, le seul lui tord le cœur, seul rien n’échange

un triomphe pour un baiser, un murmure, laisse-moi, laisse-moi, il part, il part, le jour est inutile, on ne travaille pas, on ne cherche pas, on ne trouve pas, on offre le temps au temps, la perte à la perte, ils sont refusés, ils sont nombreux, le seul n’est plus là, elle le veut, il n’est plus là, elle lamente,

elle lamente, laissez-moi, laissez-moi, je pars, je pars : ô, seul tu m’as perdue, tu me manques, tu me plains, je geins et ce jour on active, on active, les oiseaux sont partis, les oiseaux blancs tournent, les ailes frottent, le seul est loin, au rocher Ariane attend et pleure, pleure, ils sont sans soucis :

je les chasse, je les chasse, il sont partis et maintenant, ô seul, seule Ariane va terminer sa phrase, laissez-moi, ô laissez-moi, mourir. Les autres dorment, paresseusement heureux.

03 Août 2010.

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