vendredi 22 mars 2019

Nessus.



Il chante sur le roseau, il conte aux cœurs amis la joie et son absence, il se défigure de silence, il détonne sous les nuages, il chante pour eux tous, il siffle sa lucidité, il est frémissant et sauvage et sirène et babillage. Il a perdu à son larynx le reste de la nuance, le dire, le faire, la tendre volonté, le grain poli, l’âme lavée.

Le front tendu d’ignorance et de calme, il empile un son plus tous les autres et sa colonne monte haut, trop, si haut, il est fidèle et torturé, il est engorgé et candide, il sème partout sa déraison solitaire, son charme absolu, sa vigueur, son impatience, il file les perles une après l’autre, elles sortent de la tête du crapaud, des grenouilles.

Ils se sont croisés sous la lune, dans le recoin au bord de l’eau, quand le ciel plonge dans les nuages, quand tout est content, tout se tient, tout nage et frémit et se cambre, il est une décision sûre, une ingratitude, une aspiration, il se mélange, il siffle fort, il est tendu, d’un son aigu à l’autre, un arbre, du poids de vent sur l’horizon

de plumes en cadence, de l’espoir, du sel, du tact et de la fantaisie, il est parti, il reviendra, il passe et repasse, le temps est court, le temps est long, il est une merveille à dire, chaque pas le rapproche de l’histoire, le calme, le réconforte, il sort à peine, il rentre vite, il est tendu et il fuit les ténèbres, il est divers et il se varie, quand même,

les oiseaux vont tomber du nid, il en ramasse, il les dépose sur une feuille, un bord de toit, un pan de mur, le tour est bienvenu, il faut trouer sa voix et chanter dans le vide, l’oiseau s’envole, il est sauvé, il fuit les ténèbres, il reviendra, il reviendra, il a fait naître des papillons, il a vu des choses étranges, des chiens errants, des enfants perdus,

du temps passé et il n’a rien fait, il n’a rien pris, il martèle, il se blesse aux ronces, aux cailloux, il améliore son passage, il est frémissant et tendu, il contait aux autres son cœur, son absence, des retours, des fuites, de la recherche, du carnage, il est en résurrection, il est tendu et frémissant, il épuise son souffle, son pas, ses muscles,

il cherche, il trouvera peut être avant le tard, avant le rien, avant le vide, il est parfois vain et léger, il est tendu et frémissant, il ne fait rien de bon, il améliore son rythme, sa pensée, ses doigts perdus dans les broussailles, ses pieds griffés aux ronces, mûres sauvages vous passez, vous passerez, vous poserez une tache noire sur l’ongle,

sur la langue, les dents, il chante comme un enfant malade pour se joindre aux âmes égarées, aux terreurs oubliées, sa déraison est solitaire, il se cherche et il suit le temps, le chemin sec dans les roseaux, il est tendu et frémissant, il est obstiné, il se livre, il a rendu son tablier, son temps, ses graines, il transporte au cœur les oiseaux,

il imite, il siffle, il souffle, il est perdu et sans raison, il en porterai une tunique de poison et de feu, centaure immolé, il chante comme les oiseaux, il est venu, il est cambré, il est tendu et frémissant, comme un oiseau il chante, il est fourbu et il hoquette : finissons la phrase dans le souffle avant que le ventre posé ne saisisse le dernier râle,

les oiseaux chantent sans air, sans souffle et lui cheval humain, il est fourbu il ploierai presque sous son fardeau, il est nu dans les roseaux, il a arraché la tunique, il est perdu, tendu, frémissant, Nessus, Nessus tu redeviens ou homme ou cheval jamais oiseau, jamais oiseau, le poison mord tes flancs, tu es battu, tu es perdant,

les oiseaux se concertent, tu passes sous les roseaux, tu cherches l’ombre fraîche.

30 Juillet 2010.

1 commentaire:




  1. Nessus

    Du temps que je vivais à mes frères pareil
    Et comme eux ignorant d’un sort meilleur ou pire,
    Les monts Thessaliens étaient mon vague empire
    Et leurs torrents glacés lavaient mon poil vermeil.

    Tel j’ai grandi, beau, libre, heureux, sous le soleil ;
    Seule, éparse dans l’air que ma narine aspire,
    La chaleureuse odeur des cavales d’Epire
    Inquiétait parfois ma course ou mon sommeil.

    Mais depuis que j’ai vu l’Epouse triomphale
    Sourire entre les bras de l’Archer de Stymphale,
    Le désir me harcèle et hérisse mes crins ;

    Car un Dieu, maudit soit le nom dont il se nomme !
    A mêlé dans le sang enfiévré de mes reins
    Au rut de l’étalon l’amour qui dompte l’homme.


    José-Maria de HEREDIA


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    Guido Reni

    "Déjanire enlevée par le centaure Nessus" 1621




    Louis-Jean Lagrenee

    "The Abduction of Deianeira by tthe Centaur Nessus" 1755




    Jules–Elie Delaunay

    "Death of Nessus" 1870




    Arnold Böcklin

    "Nessus und Deianeira" 1898

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