mardi 13 novembre 2018

Dans l’air vif, dans la lumière.

Ils sont à l’aise, ils sont cambrés, ils tombent dans le jour, vers les fleurs, vers le temps, vers la voix, ils s’élèvent et commencent, un service pour les héros, pour les errants, ils sont en attente, et ils marcheront vers le silence, vers la vérité, vers le lointain, sur les arbres, sur les chemins, vers le repos.

Ils comptent les moulins, ils tirent sur la corde, ils sont inspirés et ils égratignent la ruse, ils effacent les cercles sur la peau, sur les remords, sur les semblants, sur le rien accumulé. Les phraseurs polissent leurs mots, étirent la corde et recommencent, ils sont pesés et déposés, la danse encombre le pavé, si l’on ne comprend pas, ils se défont des entraves, des lacets.

Ils se renvoient d’une balle à l’autre, d’un échange vers la proie, vers le trésor, pour le prix du silence, pour le prix de la joie et la reconnaissance, ils plongent les yeux au profond du clair, dans le sensible de la vie, dans l’espérance, dans l’ardeur, dans la paille apportée aux bras des touts petits, au rire déposé sur les images, sur la couronne et sur le sable, à l’abandon. Dans rien, et dans l’air qui vole.

Ils se présentent au temps, à la porte sur le jour, sur le vivant, sur rien tenant, sur rien rentrant, sur le point. Ils entendent et voient et frappent aux portes du salut, dans le retour pour fuir et fuir encore et n’espérer jamais, et tout perdre et finir et recommencer sans ordre et sans raison, sur le point de rupture, sur la vie qui bat et recommence.

Ils sont là, palpitants et sensibles et idiots et perdus et cambrés, un mot après l’autre, une phrase, une idée, un soupir, ils affrontent le temps et le reste et ils laissent au fond du sac la ferveur et la joie. Ils entrouvrent un cœur sous un regard, une espérance, la gloire.

Un fleuve, un air, une mer, ils courent sur le rivage, aux tempes, la fierté. Ils sont en évidence et ils comptent les rires, les éclats, ils sont en vrac et en émoi, en émoi, ils sont sur le flanc, sur la route, sur le chemin, ils tirent et commencent une cérémonie pour les anges, les diables fatigués, ils sont en avance et ils chantent sur le front, sur la différence, ils sont secoués ils se dressent et ils enchantent, les cambrés, les avides.

Ils se donnent et ils serrent les yeux sur l’espoir. Rien de rien et rien pour rien, ils rentrent, ils sortent et le calme est en panne, ils sont frais et secoués et rien ne coule, rien ne franchit les bornes, ni les frontières, ils sont incohérents et seulement fatigués, fatigués, Ils sont seuls perdus sur la route rien ne compte et rien ne tient fermement.

La route est longue, les arbres sont chargés, il faut ouvrir la fenêtre et partir, dans le temps, dans le vent vers l’exploit, dans l’air vif, dans la lumière, sur le fil du silence, sur le cœur des saisons, sur la vie préservée, sans rien aux mains, sans rien aux pieds, sur la fraîcheur naissante, sur le rire où roulent les cailloux, où chantent les saisons, où la raison se perd, où les yeux s’écarquillent, où les oiseaux chantent au ciel.

11 Juillet 2008.

2 commentaires:

  1. I

    Nous voudrions garder la pureté, le mal eût-il plus de réalité.

    Nous voudrions ne pas porter de haine, bien que l'orage étourdisse les graines.

    Qui sait combien les graines sont légères redouterait d'adorer le tonnerre.

    II

    Je suis la ligne indécise des arbres

    où les pigeons de l'air battent des ailes :

    toi qu'on caresse où naissent les cheveux...

    Mais sous les doigts déçus par la distance, le soleil doux se casse comme paille.

    III

    La terre ici montre la corde.

    Mais qu'il pleuve un seul jour, on devine à son humidité un trouble dont on sait qu'elle reviendra neuve.

    La mort, pour un instant, a cet air de fraîcheur de la fleur perce-neige...

    IV

    Le jour se carre en moi comme un taureau : on serait près de croire qu'il est fort...

    Si l'on pouvait lasser le torero

    et retarder un peu la mise à mort!

    V

    L'hiver, l'arbre se recueille.

    Puis le rire un jour bourdonne et le murmure des feuilles, ornement de nos jardins.

    Pour qui n'aime plus personne,

    La vie est toujours plus loin.

    VI

    ô premiers jours de printemps jouant dans la cour d'école entre deux classes de vent!

    VII

    Je m'impatiente et je suis soucieux :

    qui sait les plaies et qui sait les trésors

    qu'apporte une autre vie?

    Un printemps peut

    jaillir en joie ou souffler vers la mort.

    — Voici le merle.

    Une fille timide

    sort de chez soi.

    L'aube est dans l'herbe humide.


    Philippe Jaccottet / La Semaison
    (suite ci-dessous)

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  2. VIII

    A très grande distance,

    je vois la rue avec ses arbres, ses maisons,

    et le vent frais pour la saison

    qui souvent change de sens.

    Une charrette passe avec des meubles blancs

    dans le sous-bois des ombres.

    Les jours s'en vont devant,

    ce qui me reste, en peu de temps je le dénombre.

    IX

    Les mille insectes de la pluie ont travaillé toute la nuit; les arbres sont fleuris de gouttes, l'averse fait le bruit d'un fouet lointain.

    Le ciel est pourtant resté clair; dans les jardins, la cloche des outils sonne matines.

    X

    Cet air qu'on ne voit pas porte un oiseau lointain et les graines sans poids dont germera demain la lisière des bois.

    Oh! le cours de la vie entêté vers en bas!

    XI

    Le fleuve craquelé se trouble.

    Les eaux montent et lavent les pavés des berges.

    Car le vent comme une barque sombre et haute est descendu de l'Océan, chargé d'un fret de graines jaunes.

    Il flotte une odeur d'eau, lointaine et fade...

    On

    tremble, rien que d'avoir surpris des paupières qui s'ouvrent.

    (Il y avait un canal miroitant qu'on suivait,

    le canal de l'usine, on jetait une fleur

    à la source, pour la retrouver dans la ville...)

    Souvenir de l'enfance.

    Les eaux jamais les mêmes,

    ni les jours : celui qui prendrait l'eau dans ses mains...

    Quelqu'un allume un feu de branches sur la rive.

    XII

    Tout ce vert ne s'amasse pas, mais tremble et brille, comme on voit le rideau ruisselant des fontaines sensible au moindre courant d'air; et tout en haut de l'arbre, il semble qu'un essaim se soit posé d'abeilles bourdonnant; paysage léger où des oiseaux jamais visibles nous appellent, des voix, déracinées comme des graines, et toi, avec tes mèches retombant sur des yeux clairs.

    XIII

    De ce dimanche un seul moment nous a rejoints, quand les vents avec notre fièvre sont tombés : et sous la lampe de la rue, les hannetons

    s'allument, puis s'éteignent.

    On dirait des lampions lointains au fond d'un parc, peut-être pour ta fête...

    Moi aussi j'avais cru en toi, et ta lumière m'a fait brûler, puis m'a quitté.

    Leur coque sèche craque en tombant dans la poussière.

    D'autres

    montent, d'autres flamboient, et moi je suis resté dans

    l'ombre.

    XIV

    Tout m'a fait signe : les lilas pressés de vivre

    et les enfants qui égaraient leurs balles dans

    les parcs.

    Puis, des carreaux qu'on retournait tout

    près, en dénudant racine après racine, l'odeur de femme travaillée...

    L'air tissait de ces riens une toile tremblante.

    Et je la déchirais, à force d'être seul et de chercher des traces.

    XV

    Les lilas une fois de plus se sont ouverts (mais ce n'est plus une assurance pour personne), des rouges-queues fulgurent, et la voix de la bonne quand elle parle aux chiens s'adoucit.

    Les abeilles travaillent dans le poirier.

    Et toujours demeure, au fond de l'air, cette vibration de machines...



    Philippe Jaccottet / La Semaison

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