samedi 3 novembre 2018

Il saute.

En passant d’une rive à l’autre il a le pied plus lourd et penché sur le sable il voit s’étaler le présent et mordre de la pointe la poussière des ans, et des efforts et du commencement, et de la flamme. Il saute les pieds joints sur les rives, d’un bord à l’autre de la saison, du revers, de la mélancolie et du changeant. Il affronte la ritournelle, le regard clair, le vrai tamis, il passe, passe, et recommence et il se cherche sous les feuillages.

Il est repris et sans attaches son cœur est tendre, ses yeux voient loin, il saute à pieds joints d’une rive à l’autre, d’un banc de pierre jusqu’au moulin, du bord du temps jusqu’à la rive des saisons noires aux verts tremblants. Il se cache dans les feuillages et il résonne sur le ciel bleu.

Le cri, la peur, l’angoisse, il frémit et se rabougrit, il se referme et recommence et il sonne dans l’ébloui, dans la rumeur, dans la charpente, sur le dos, sur le pied, il saute d’un versant à l’autre, d’un bond, d’un jet, d’une éclaboussure, d’une rafale, il se déplace, il recommence et ne finit jamais un mot.

Il saute, saute et tout l’accable, il espère le renouveau, le vert tremblant dans les feuillages, la saison noire sous les figuiers, les feuilles ont brûlé, et il saute à pieds joints sur le temps d’une rive à une autre, pour une escale, un achèvement.

Des espoirs, des enfantillages, de la saison sucrée salée, du renouveau sur les branches, il saute d’une année à l’autre, d’un pied uni, d’un pied lié, il se défait et obéit et recommence à perdre l’âme, à perdre pied, à perdre corps, à nier les évidences, il chante dans le ciel changeant la chanson lente du pied perdu dans le ciel liquide. Il saute d’une branche à l’autre, d’un pied léger, lié, volé, voilé d’or et de poudre noire.

Il est en avance d’un cran, le flanc battu par ses principes, il faut sauter d’une rive à l’autre, d’un espoir à un abandon, d’un trait d’argent à un désastre, d’une litière de gravats à la plus parfaite présence, il saute à pieds réunis sur le monceau des évidences, entre deux temps, entre deux mondes, entre deux espoirs et deux défaites.

Il est du blanc au blanc, et noir et noir sous les arbres, le corps luisant, le regard droit, il saute de branches en branche, de feuilles en clair soleil, il est perdu, il saute, saute, il ne finit plus ses mots, il avale le reste au temps, au perdu, au soudain, à la fumée qui court plus vite et retourne sur le chemin. Il défile la comédie, les usages, les vérités, il perd tout en passant d’une rive à l’autre, d’un espoir à une victoire, d’une ébauche à un trésor, il est en route sur le rêve, sur le dedans, sur le dehors, sur les frissons et les caresses.

Il saute du temps à l’outrage du cœur perdu aux trahisons, de la rancœur aux évidences, il danse sous les frondaisons, sous le regard des autres, des revenus, des pieds cassés, des riverains immobiles, il saute à leur nez d’un bord à un bord, d’une saison à l’autre.

Gentil, gentil il est passé et il saute sur la rive, sur le rebord, sur le temps enfin perdu et sans attache, vers le soleil, vers l’autre rive, vers l’autre rive.

9 Avril 2008.

1 commentaire:

  1. Il saute de branche en branche, vole à la cime des arbres, dans l'océan de feuillage, poudré d'or et l'œil cerclé noir.

    Il saute d'une pierre à l'autre, et guette ses songes sous les rochers de la rive. En dessous, en dessus, en dehors, en dedans, sur la branche et sur la tranche. Il déchiffre les syllabes et chante pour lui seul la musique des feuilles.

    Il saute sur la rive, il saute sur le temps et le rebord du monde sans se laisser impressionner. Il est libre et sans attaches.

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