lundi 19 novembre 2018

Où est la joie.


Pour oublier, pour oublier le temps, il souhaite le feu le soir, il souhaite et il voit : les oiseaux se balancent sur les terres retournées. Le bateau roule sa paille et son orgueil sur le flanc clair, il en est long et loin, il vient du loin, il vient aux rives, il est perdu : oiseau recommencé. Les bateaux ensoleillés, oiseaux qui passent, et sur la mer et sur les roseaux, il engrange la paille, il vole les ballots. Il voit des bateaux et il voit des oiseaux, le soleil commence, le vent continue, les ballots sont verts, la toile est aimable, le temps est joyeux et il est parti, il cherche, il doute, il abandonne, il se perd dans le temps, sans espoir et sans rêve, et le grain se plante.

Il a perdu le temps, il a perdu l’orage, il tourne, malheureux, incertain, éperdu, là- haut, où bien là, il sonne à l’outrage et il invente une liberté d’épines et de verres éclatés. Les liserons roses et blancs sur les roseaux montent, le vent souffle, le vent souffle, il se traîne sans joie, dans la rumeur, dans la pénombre le sec se cache, les graines collent aux poils, à la peau, il marche et il cherche la joie. Il se vit dans la peine, il se vit sans la joie, il tourne, il traîne, la corde au tronc attache le bateau, et le figuier s’en va et le vent souffle autour du pâle oiseau et les liens et il va sans la joie. Il avance et reprend, il tourne tout gonflé, et il cherche et il répand et il cherche et il se répand, et il cherche : où est la joie, où est la joie, il est perdu, il avance, il tâtonne, la corde lie au tronc le bateau, il passe, il se morfond et il cherche : la joie et le bon.

Les nuages défilent, son cœur est lourd, la peine l’étreint, le retour s’en va et le retour s’en vient, où est la joie, il cherche et il s’entraîne, le vent souffle, souffle, et plus vite il se répand, le figuier fuit sur le chemin, il tourne et il tourne dans la poussière, les traces le suivent, son ombre le précède, il est à la renverse, il se traîne, il se perd, se bouscule, il est inversé et rien ne le rendra plus droit et plus prompt, la vie sur lui se resserre, il s’enferme dans une grande cage, et se perd sans raison.

Il entend d’une ombre à une autre, un murmure, un sanglot, d’une ombre à une autre, d’une porte à l’autre, dans la peur, il cherche, il cherche la joie et ne la trouve pas. Son silence est rompu par les oiseaux, le vent, au sol brisé, la voix dans un sanglot, il est perdu, il est perdu et rien n’avance, rien ne suit, rien ne tient, il se bouleverse, il se tourmente et il enfante des cailloux sous son pied. Les oiseaux volent et il recommence, il cherche la bouche ouverte juste avant le sanglot, juste avant le hoquet, un retour d’étincelle, où est la joie, où est la joie, il avance, il n’a plus de temps, il avance, il avance.

Il a tout oublié, la mécanique, les sanglots, le sable, le pied reposé, il a tout oublié, et ne dit rien, et ne dit rien, du monde qui se déroule, et ne dit rien du temps passé, du temps présent, il est en route dans un monde ou rien n’existe, que la lumière, le sol, le posé et le relevé, le vent le persécute, il est troublé, il est perdu, aimanté par ce mot, et la joie où est elle, aimanté par cette peur, aimanté par la nuit, dans la souffrance obscure, dans un fausse solitude, il est perdu, il est perdu, il avance, il cherche sa voix et sa voie, dans la joie, dans la joie.

Ignorant et troublé, il passe entre deux arbres, il arrache d’un œil les oiseaux dans le ciel, il avance, et passe entre deux arbres, où est la joie, où est la joie, il avance, il est perdu, il est perdu et remonté entre l’excuse et la rage, entre la guerre et l’incendie, la tourmente, arrachée la peau, décharnés les os, il faut ronger ce qui reste et tout jeter à l’eau.

La brume, une clef d’aventure, une obsession, un vrai ravissement, il se perd, il se perd, il n’assume, ni la peur, ni le doute, ni la rage, ni la guerre, il est perdu, il est perdu, ses yeux arrachent dans les fourrés les mûres, au ciel les oiseaux, au revers les nuages, dans la bouche un sanglot. Il cherche, il foule les fleurs et les cailloux, les mûres rouges encore, les roseaux verts toujours et la paille et la paille en ballots, en ballots étalés, où est la mécanique, où est la mécanique, où est le temps moderne, où est la vitesse, il est au pas des ânes, au petit pas des chevaux, à la rencontre du ciel et du vent, de l’eau, de l’eau.

Il est parti noyer sa honte, il force le trait, il force le trait, il avance, il arpente, il serre les dents, il veut recommencer, il veut enfoncer la plume et le sang, dans la vase, dans la terre, dans la boue et dire enfin le vrai et la justice et arracher d’un œil le bleu au ciel et le remord à son cœur. Faut-il encore qu’on sème des grains au ciel, de l’herbe dans l’eau, des plumes sous la paille, des regrets, des sanglots, des cordes, des ficelles, des câbles, de la bobine, du fil, du fil et dévider, dévider, arracher. Tirer, et le kilomètre viendra et la plume, et dévider, éviscère, éviscère et arrache le cœur et le poumon au vieux corps et fabrique un cadavre, et fabrique un cadavre et laisse le à terre, à terre, tous ses espoirs pour morts, pour morts, en déroute et évidé et lacéré et rompu et flasque et sanguinolent.

Il se tourne vers eux et chante, la cadence est vide, le refrain étonne, le sanglot, il faut avancer, perdre, et la joie dans tout ça, et la joie, où est la joie, où est la joie, derrière sa main noire, derrière ses regrets, derrière le souffle court, derrière les fleurs jaunes, derrière les fleurs bleues, il se mélange, dans la paix, dans le calme, son cœur explose. Il reprend sur la tête, la lyre ardente du sonneur, la chanson lourde et lente, le ciel tape sur lui, le soleil brûle son cœur, brûle son cœur et déroute son âme, et dévide le tronc et rebat sa vertu, il est perdu, il est noyé, il avance, il se traîne et rompt son pacte avec les ombres, avec la nuit qui va, avec la rime et la joie, il est fou, il avance, il se perd, il se donne, il est contraint, il avance, il avance, il entendra le son rose des fleurs dans l’air qui souffle, dans l’air qui passe, il verra le bruit souple des plumes des oiseaux, il sertira son œil dans le collier des femmes qui rompent la tendresse et griffent les sanglots et tirent de leur sac des bannières pour vendre, pour rendre, élimer, pour suriner, pour tirer, pour dépendre, pour accrocher, pour enfanter, pour effilocher, pour recommencer, il raccommode, sur le sentier, il avance, ils sont deux, ils sont quinze, il avance, ils avancent, il veut recommencer, il veut attirer la joie, il veut couper les troncs, il veut lancer son bras, il veut cueillir la vie, il veut serrer la joie et se tordre le cou jusqu’à rompre et subir le sanglot et recommencer demain.

La voile est lente, le soleil est tendu, son œil est aveugle, posé sur le dos de sa main, sur le rang qui commence il entend les cloches, il voit le toit rouge au loin, il cherche des yeux, il cherche le remord, il cherche le regret, ne trouve rien, il recule, il file vers un monde, il file vers ailleurs, il file et tisse aux étoiles vers son cœur, il veut de la tendresse, il veut du renouveau, il ne donne rien, ne prend rien, juste il regarde, juste il attire, juste où est ta justice, mémoire où est ton temps, il avance, il se tire, il se retire, il arrache aux arbres les feuilles, au sol les cailloux, à l’eau la vase, au courant l’air et le vent et il souffle, d’une fleur jaune à une fleur rouge, d’une fleur bleue.

Il ment, il transperce et il passe sans feu et il oublie sa trace et cherche son repos, où est la joie, où est la joie. Il a viré la mécanique, il a retendu le cerceau, il vire sur le cercle, il tend ses oripeaux, il gonfle et il se donne, il gonfle et il se donne et il arrache au ciel d’un œil l’oiseau, d’une espérance une herbe, du confort un saut. Il ira loin se tendre, il ira loin se répandre et tirer des liserons roses et blancs, roses et blancs, essoufflé, éperdu, il tend le nez dans l’air et le menton dans l’herbe, il reconnaît sa trace et il cherche sa route, où est sa voie, où est la joie, où est la joie, dans la joie, il est perdu et recommence et dit le même sanglot, la même souffrance, le même doigt dans la même plaie, et l’écouter et le comprendre, il se redit où est ma liberté, où est mon temps, où est ma race, que faire, que dire, arrêter là ou tout reprendre et continuer et avancer vers la liberté, la parole, la vérité, tout dire ou tout taire, tout dire ou tout taire.

Les oiseaux creusent le chemin, les mouches bleues s’enfoncent dans la ride, il revient, il avance, il est fermé, il est buté, il avance un peu en travers, il avance, il n’est plus arrêté, il n’est plus au sacrifice, il est dans la souffrance lente, lente et qui reste et qui s’incruste et qui enfonce son œil jeté dans les nuages, arrache au siècle un papillon d’éternité, une revanche. Il avance, il tord le cou à l’espérance, il tord le col et recommence, et ferme dans chaque main ses doigts sur ses yeux, sur ses regards, arraché et griffé, en pâture aux archanges, en avance sur le temps, il arrache aux siècles des remords et donne l’éternité. Le pas se glisse et ferme et droit et il recommence et il avance, le pas se glisse et il avance et perdu pour l’éternité, il est perdu et sans présence, il est perdu pour l’éternité, il glisse, il avance, le vent calmé, il est inquiet, il a peur, où est sa joie, où est sa joie, le vent recommence.

Les mûres rouges encore dans les fourrés, le lierre sur les pierres et les signaux et les arrêts, il avance, il reprend, il avance, il reprend, il cherche, et il se trouve et il se trouve une excuse et un fond de liberté et un fond de vérité, et un prétexte, il faut dire la vérité, il faut dire la vérité.

Il a perdu sa souffrance, il retrouve de la vérité, il a perdu sa souffrance, il avance, il n’entend plus, les voix se taisent, le vent souffle c’est sûr, il avance, il se porte, il avance et s’élance au dessus, les animaux pleurent, le vent tourne, les oiseaux volent, la marche, il marche, il marche sur le temps, il marche au dessus des mots, il marche au dessus du vent, il marche, il marche, sans rimes, sans sanglots.

21 Juillet 2008.

1 commentaire:

  1. Il a oublié ses yeux pour pleurer ce monde décharné au visage gris, aux membres arrachés, à la peau déchirée. Il a oublié ses yeux pour pleurer tous ces os rongés en dérive sur le fleuve.
    L'étoile et l'espérance seules sauront lui dire ce qu'il cherche encore.

    Il avance et s’en retourne sur le sentier, il veut cueillir la joie qui lui cogne aux tempes, et siffle à perdre haleine. La vie n’est pas finie, il veut recommencer, il veut se libérer, il avance à cloche pied et remonte la pente jusqu’à la source des larmes. Là-bas… tout là-bas sous les griffures du vent.

    Il est arrivé au bout, au bout de sa peine lente, à force de travail et de griffures. Il est arrivé au bout de cette longue errance. Il souffle, épuisé, mais heureux d’exister. Les feuilles se détachent et prennent leur envol vers leur destinée. Il est arrivé au bout de sa peine si lente, à force de travail, à force de gratter.

    Où est la joie ?

    Elle est là sous un caillou, sur le chemin à portée de main, cachée et silencieuse, sans bruit elle attend qu'il vienne la cueillir.

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