samedi 5 janvier 2019

Ces gens ensorcelés.

Un souffle sur le dos, une entrée dans le cœur, ils fuient le martyre, ils défient la rage, ils inventent encore un pas de plus vers le ciel, vers le bleu au temps compté, le remord effacé, l’ardeur appelle et joue sur les rameaux. En ruisseaux, l’existence, en sillons enlacés de fières certitudes, ils sont au monde un pauvre tas posé sur l’herbe, dans le champ des rejets, des fêlures, du temps passé, des histoires contées, des mots balbutiés, des flammes en ouverture, du rire en cascade, de l’horreur et plus, bien plus encore.

Le tas au temps venu, au temps serré, au temps tenu, il y a des oiseaux, ils mêlent et imposent un signal pour la route, un ordre pour partir : allez mes enfants, le silence nous appelle, les herbes au bord, sur le chemin attendent, il faut compter, épeler, énumérer et ne rien trahir de cette vérité, de ces raisons aveugles qui bâtissent le cœur et consolent les âmes et font vibrer encore et parlent de bonheur.

Les fleurs sans ombre, au bord du chemin, les insectes qui sautent et ceux qui volent aussi, la raison perdue et le regard noyé dans l’apparence des choses et de la vie, ils sont le sourire nu sur l’épaule. Attendris, ils en reviendront riches de cette course longue et folle, posés sous le ciel bleu, arrachés à l’orage.

Les yeux sous les nuages affranchissent le temps, les heures sont plus courtes, ils se défont et enjambent des tas de raisons pures, anecdotes pour le pied des chevaux et leurs traces perdues. Les mains sous la toile ils cherchent un pardon pour les oiseaux blessés, pour les tourments du monde, ces gens ensorcelés, cherchent les réparations, le tas de terre nue étalé sur les trous, l’orage à fait violence, les murs vont s’effondrer et perdre le sens, toute chose est vue, toute crainte est possible, les rêves évadés, les gouffres pour les âmes.

Le néant est là, au bord de la route, ces gens ont peur, ils comptent les raisons de croire et d’espérer et de voir encore d’un œil bienveillant les enfants et les chiens jouer sur le tas des erreurs accumulées. Le retard est certain, ils sont pauvres et sans joie, ils sont à avaler, ils sont à transporter pour avaler encore et boire et refaire les erreurs de toujours.

Leurs grandes processions iront d’une croix à une autre, d’un reposoir au balcon des harmonies perdues, les fleurs penchent au calice souillé, les éclats de la vie meurent un peu à chaque pas, à chacun, à chacun de dire son audace, de marteler encore du poing sur le sentier, d’imposer sa présence, de finir au fond du bol une ration d’amertume, de faire et croire et pour recommencer.

Ils se tiennent les mains, ils se reconnaissent, ils sont à inventer et ils sont en marche, en présence, en angoisse, en rires. Un peuple de gens simples attend la conclusion. L’histoire dure, le poing levé, ils jurent au très haut : je suis abandonné, je suis en suspension, j’attends, je meurs et rien ne change et rien ne bouge, ils se croient et enfants et héros et martyrisés et frappés d’infamie et joués au dé d’un doigt nonchalant, d’un supérieur dédain. La vie est en avance, au calme naissant ces hommes dansent sur un volcan, ils comptent la fumée, ils décroisent les doigts, ils arrachent le bien.

Le cœur épanoui, ils viennent au combat, ils viennent à l’absence, ils cherchent des cailloux et trouvent du sang versé sur le chemin, perdus dans la souffrance à faire pâlir et mourir les plus jeunes. Ils sont perdus, ils sont posés, ils meurent sur le bord en tas, sur le point nommé dans l’azur et leurs enfants les tiennent et ne comprennent pas.

24 Avril 2009.

2 commentaires:

  1. Ils chantent l’air frais qui monte vers le ciel. Leurs cœurs s’ouvrent en grand pour accueillir l’espoir. La beauté d’un monde oublié qui frémit sur les branches et roule doucement sur l’herbe neuve gorgée de vie. Ils espèrent, ils espèrent un enchantement et bien plus encore.

    Les oiseaux parlent à l’oreille des enfants avec leurs mots d’oiseaux et leur jolie musique. Ils leur disent ce que l’herbe folle leur a soufflé sur le bord du chemin : ne plus compter, ne plus épeler, ne plus énumérer, oublier l’école, les livres et cahiers, s’envoler très haut, et suivre le chemin des oiseaux. "Voilà. Cela commence comme cela les mots vous mènent. On perd de vue les toits on perd de vue la terre. On suit inexplicablement le chemin des oiseaux."*

    Après cette déferlante et ces jours incendiaires. À force d’abandon et de renoncement, de peur et d’effroi, de lucidité aussi. Il faut partir, rompre les amarres, rompre la solitude des nuits de tourmente. Partir, partir et reconstruire. Il ne reste qu’un souffle de vie incontrôlée dans le cœur blessé des oiseaux prêts à pardonner.

    Plus rien ne les porte sinon leur ombre, sinon leur plaies béantes. Les uns déchirés par les autres, le regard perdu dans les souillures. Abîmés aux lisières d’une aléatoire présence, ils ont tenté le bonheur sans jamais en trouver la clé.

    Ils sont simples et attendent et espèrent, et griffent la vie qui file, file sur les chemins rouges et brûlants gorgés de sang, où tout se déchire, se lacère et se meurt, où tout n’est que cendre et chair béante. " Certes Dieu s’est tu" et la mort entre avec violence dans les yeux étonnés et effarés des enfants.




    * Aragon / Le Roman inachevé p.85



    Merci cher Michel pour ce long texte d’une douleur esthétique.
    Bon jour à vous.








    "Eh certes, Dieu s’est tu. Il a fui un visage
    Dont le gel et la mousse ont fendillé le marbre,
    La mobile fourmi s’est logée dans ses yeux,
    Le vent siffle à travers ses lèvres ébréchées
    – mais renoncerons-nous à l’aimer, à le craindre,
    à le chercher sur terre et plus loin que la terre… "

    B. Fondane / L’Exode, Super Flumina Babylonis

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