lundi 28 janvier 2019

Et sans aucun bagage.

Ils tombent, tombent, tombent, ils sont répandus sur l'asphalte, ils sont perdus dans un brouillard, une nuit plus bleue que noire, plus soutenue et crue, indolore et sans âge. Ils sont à l'abandon, ils sont en esclavage, ils se tournent et broient du vent sous les cailloux, de la rougeur sur le massacre, ils sont vifs, ils sont pleins et enchaînés et nus, ils sont rebelles et abattus, ils sont improvisés

et sans aucun bagage, amis tombés à terre, petits pions perdus au jeu de la malchance, ils se traînent, ils embrassent le vent et les épines, et raclent des dents le fond du seau, ils sont perdus aveugles, nus, sans rire et sans couteau, sur la porte fermée, ils se démènent et broient de la nuit plus bleue que noire, plus précipitée et plus intacte, encore à dire.

Personnes déposées sur la route au bord du chantier, au bord de la cavalcade, derrière le cerceau, au long du quai où personne ne vient, ils se démènent et posent et recommencent encore, ils sont à éblouir et pleins de remord, de tendresses cachées et bleues et pâles, et si soudainement et si affreusement perdus et dérangés, et sans rien au monde, sans rien pour dire la question,

et donner la réponse, le grand secret est mort, ils sont muets et fous et pleins de fureur sans bruit, et d'innocente clarté, et de ronde à redire, et de bateaux à trancher dans le vif, dans le bleu. Sur le devant encore, sur l'avant, ils avancent sur le loin, on s'y tient, une lampe à la main en pleine lumière, ils chantent les bateaux, la lumière brille sur la lumière, ils sont recommencés,

ils sont aveugles et fous, et ils voient encore au loin, la lumière. Ils sont esclaves et abusés et retenus à la taille par un fil, par une corde pincée, il ne faut rien briser, il faut tendre et tendre, et retourner encore, au mois qui pince, le cerceau qui brûle la raison, et franchit la montagne, la liberté avance, le lien est fleuri, et ils sont abandonnés

et chantent en cavalcade le long du mur, dans la rue noire, au clair du temps trouvé, au clair de la mémoire avivée et tendue, elle perce la rive, elle détruit les pierres, elle ferme, elle embrase, ils sont chauffés au bleu, ils sont noirs sur la route, et ils chantent toujours les cordes emmêlées, les bras tendus, l'arc est enrubanné, ils sont archers et pleins d'ardeur

et tenus bien dressés sur la route, sur le chemin noirci, sur l'écho qui se fane, et ils ne comprennent rien encore au bleu qui passe et chauffe et au noir rejailli sur le dos de la main, ils sont éclaboussés et vidés. Ils sont asséchés, assoiffés, et perdus dans le doute, esclaves, fils d'esclaves, ils ne travaillent pas encore à la liberté, ils ne donnent rien au dessus,

ils ferment le plateau, ils closent les écoutes, ils sont aveugles et sourds et sans grâce et sans noms. Il faut y revenir et combler le précipice, ils sont attachés et vendus aux grands, aux vénéneux, ils se fabriquent des dieux, des complices, ils sont à rejaillir et sans avenir même. La force, la bonté, le droit et la parure, ils chantent, ils recommencent

et finissent au mur, le milieu est intact, ils sont aveugles et sourds et soutiennent le temps et refondent la rive, ils n'ont rien construit, ils ne détruisent plus, ils sont en attente et forment des nuages, et fondent sur le temps et dégrafent les causes, ils pendent aux rochers leurs habits de tempête, la violence tient entre les genoux et le dos, les mains mordues.

Ils se gonflent d'amertume, ils sont posés au bord du précipice, ils attendent et broient la lumière.

30 Juillet 2009

1 commentaire:

  1. "Ils sont improvisés et sans aucun bagage", tombés du ciel, en un lieu bien précis sur une terre inconnue. Ils se posent et avancent en rebroussant le temps, nus, et sans bagage, ni la mort, ni le rire, pas même une clarté bleue pour unique bagage.

    "Sans rien pour dire la question, et donner la réponse". Encore pour un temps dans une bulle de lumière, avant d’affronter tout ce noir, tout ce froid, et peut-être un jour repriser le filet des secrets.

    "Ils sont recommencés, ils sont aveugles et fous", leur faim conjure le noir, et le vide et l'absent. Leur gorge est rose des clairs matins, de cette lumière qui baigne l'abandon.

    "Ils sont abandonnés et chantent en cavalcade", la mémoire en bandoulière et le cœur à l’envers. Les oreilles et les yeux épinglés au grand mur qui est poudré de bleu et colorie l’azur. Ils tirent sur la corde et tendent leur chanson qui s’envole droit devant en sifflant dans le vent.

    "Pleins d'ardeur et tenus" ils avancent sur le chemin de suie qui conduit vers le nu, le noir au creux des mains et le soleil éteint. Ils sont en esclavage et n'ont rien pour étancher leur soif, rien, tout ce rien, demain ils réveilleront le soleil.

    La neuvième porte s’ouvre, sur le seuil ils sont en équilibre, et gonflent leurs joues d'un éclat de soleil. Patients, inébranlables "ils broient la lumière".

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