lundi 7 janvier 2019

Sa langue, de rouille et de stupeur.

Il entend pour entendre, dans la bouche, dans les dents, sur le front, à l’intérieur, en force, en grandeur le règne simple et long, définitif, du calme sur le tumulte, de l’infini sur le monde, de la persuasion sur la petitesse. Il se comble, il s’abîme, il s’arrache au loin, du loin, il s’évertue et nettoie, nettoie. Une douceur pour le marbre des choses, pour le grand plan, pour la chair de l’onde, pour le temps du tout sans angoisses, sans rien à dire, qu’un alignement de rouille et de stupeur.

Il est tendu, défait, obstiné, la bouche creuse, les dents claquent, sur le front dépouillé, sur l’écorce, la voix monte et descend, il la tord en tout sens sa langue, de rouille et de stupeur, il arrache au vol la saveur, la mélodie est intense, le ciel est en nuages, la lune est d’argent, il doit se fatiguer, il doit tout dépenser, il doit tendre au miroir une face perdue, un regard, une arcade un front et monter la pente et sentir le grain répandu aux oiseaux, le ciel descendu sur la plaine, le soleil froid presque mourant, la tension sur la lèvre, le corps penché, il est offert, son sacrifice le porte, il revient de cent ans, sur la montagne, en arrière, sous la pluie, sous le masque.

Il est au bord, tout au bord du temps, en arrière de l’espace, dans le frisson, dans le frisson, sur le dos, sur le cœur, il évacue et entend et espère et revoit, toute l’éternité est au creux de sa main, au fond de sa bouche, dans l’oubli, dans l’effacement, dans le silence avant la joie, avant le retour. Il enfonce un doigt dans la terre, dans le cercle, un serpent guette et l’impressionne.

Les oiseaux vont venir, il fuit les images, et il tend au monde un miroir. Une décision, une fragile certitude, il faut avancer et poser sur la langue la simple note et tenir, au bord du souffle, cela monte, le jet est lent, il se coince sur la chair fine, sur le blé mur tenu au bout des doigts, au bout du calme, dans le serment :

« Je t’offre, ô monde, une parcelle de la vérité, un brin de crin et de sarment, du sucre pour la vie, du ferment pour l’espoir, de la connaissance. Au-delà du sanglot, au-delà de la musique, vers le ciel même, vers l’aurore, sur le chemin j’attrape le temps qui reste et je commande aux éléments, je suis perdu et retrouvé, je suis ancien et si neuf, si neuf, il faut saisir les années noires, il faut arrimer le bâtiment, les voiles sont levées, les voilent tendent l’air, la lumière, le désir pur. »

Il faut trouver la source, éternelle jeunesse, printemps sacré, tu défies les saisons, tu règles le partage, la liberté est là au bout du souffle, au bout du chemin, dans l’air tendu, dans la voile saisie, à remercier une action de grâce, une salutation silencieuse, une adoration de la perfection.

Ils se balancent au romarin, les oiseaux de passage, ils sont posés à chaque branche, ils sont perdus dans l’infini, ils flottent et contournent chaque borne, chaque obstacle, chaque frontière, les repères dévoilent les mystères, les limites ont volé, le doigt détendu, il compte les amarres, il défait brin à brin le crin serré, la vie est déroulée, ses gants sur le pavé, ses outils sur la pierre, le grain sec est jeté, les oiseaux vont s’y arrêter, il faut déballer, étaler les images, compter les livres ou dansent les paroles de joie et d’espérance, la vie s’envole sous les arbres, les oiseaux piquent le bec entre les pierres, le grain sec est jeté, les oiseaux s’y arrêtent, la vérité tourne sous la paupière, les parfums tombent de bien haut.

29 Avril 2009.

1 commentaire:

  1. Ses dents de nacre claquent dans la nuit de sa bouche. Maman a cent ans, le miroir des alcôves reflète le sang des sacrifices, qu'il lèche de sa langue rugueuse en écorce de fauve. Il attend la pluie. Il attend que le ciel se déverse sur la plaine pour ôter son masque.

    Sur le bord du temps, il creuse de ses mains d'or, il creuse. Il creuse et trouve une goutte d'or tout au fond de sa gorge.
    Combien faudra-t-il d'orages ? Combien faudra-t-il de temps pour laver le visage de la terre ?

    Dans le serment : le simple et le fragile, l’oiseau et l’image dans le miroir du temps, un souffle, une morsure. Sur la chair du monde : une tache de rouille, une trace vermeille qui remonte le temps.

    Une langue de rouille sur un brin de salive se défroisse et salive, se retourne et s’étire et se déploie dans l’air comme les ailes du désir.

    Il nous faut trouver la brèche. Ce passage incertain dans la courbe du temps et les flancs de la terre où s’accrochent les mains des jeunesses éternelles.
    Il nous faut glisser dans la rainure de ces instants de grâce, où le silence embrasse la beauté de la source.

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